Situation
Marquise est Thérèse Du Parc, une comédienne de
la Troupe de Molière, dont sont amoureux le vieux Corneille et
le jeune Racine. Ce dernier en fera sa maîtresse, ainsi que l'interprète
d'Andromaque, sa célèbre pièce.
Corneille, si l'on en croit ce qu'il lui dit plutôt cruellement
ici, n'a certainement pas eu droit à ses faveurs
Lecture
Respecter le rythme de la chanson. Ce sont des vers de sept syllabes
! Scander avec une pause après la troisième ou la quatrième
syllabe, ce qui provoque rapidement l'impression de mélopée
voulue par l'auteur.
Les stances, selon la définition du dictionnaire, sont des "
poèmes lyriques d'inspiration grave (religieuse, morale, élégiaque)
composés d'un nombre variable de strophes habituellement du même
type. "
Axe de lecture
Grandeur et bassesses de l'écrivain
Lecture méthodique
1. Les mesquineries :
L'attaque est brutale (strophe 1) et le coup bas. Le ton est donné
: l'ironie domine dans ce texte. Si le fait énoncé est probable,
voire certain, il n'y a aucune galanterie à comparer le visage
de celle que l'on désire séduire avec celui d'un vieil homme.
Les charmes " usés " de la fin de la cinquième
strophe reprennent cette image dégradée, peu flatteuse.
On retrouve ici le langage agressif de Ronsard commençant son sonnet
par " Quand vous serez bien vieille
"
Dans la seconde strophe, le langage métaphorique (" roses
") , précieux et périphrastique (" aux plus belles
choses ") est adouci. La femme est enfin glorifiée pour ce
qu'elle a : sa beauté, certes passagère, mais bien réelle.
Le superlatif vaut ici compliment. Cependant, la seconde strophe s'achève
sur le " front " du narrateur, et non sur ces beautés
féminines évoquées avec condescendance.
Quelle est la part de la beauté féminine dans ce poème
?
- Elle est ignorée " On m'a vu ce que vous êtes "
Corneille aurait été jeune (certes) et beau (discutable
! )
- Elle est cependant évidente : " Vous en avez qu'on adore
" = des charmes : " on " est une litote pour désigner
Corneille. (De la même façon, " on " deviendra
une litote pour désigner la Belle Marquise à la fin du poème
: " Il vaut bien qu'on le courtise ")
- Cette beauté sera à " sauver " (6eme strophe),
incertaine " faire croire ce qu'il me plaira ", " des yeux
qui me semblent doux ", " vous ne passerez pour belle... ".
Et pourtant, l'adjectif final " Belle Marquise " ne laisse pas
de place au doute. Cette qualité de la jeune actrice est indéniable,
et fait presque partie de sa dénomination.
2. Le " Carpe Diem " détourné :
- L'importance du présent : "
Le temps
se plaît à " : ici, l'allégorie
rappelle l'ennemi de l'homme, le temps qui passe et saccage avec plaisir.
" Il vaut bien qu'on le courtise
" insiste sur une situation
actuelle : n'attendez pas demain pour me courtiser, comme le feront
les générations futures.
- L'immuabilité des choses : il est
dans l'ordre cosmique " le cours des planètes " que
cette marche vers la dégradation et la mort soit inexorable.
La roue tourne pour tout le monde, dans le splendide chiasme : "
On m'a vu ce que vous êtes / vous serez ce que je suis ."
On peut remarquer que c'est le poète qui se trouve aux deux extrémités
de ce chiasme, dans un but évident d'auto-glorification.
- Le retournement de situation : ce qui est
beau aujourd'hui sera laid demain, pour la femme. Ce qui est charme
aujourd'hui pour l'écrivain sera charme toujours, pour l'éternité.
La mort, le temps ne s'acharnent pas sur lui ; au contraire " dans
mille ans " ces charmes " pourraient bien durer encore ".
Tout le poème est construit autour de cette idée : la
beauté passe mais l'uvre survit à son auteur, le
rendant par cela immortel.
3. La grandeur de l'écrivain ?
Tout ce poème est marqué par une évidente mauvaise
foi, que l'on peut justifier par le dépit. Ayant été
éconduit, Corneille se venge en mettant en avant ses qualités
d'auteur : lui aussi vend ses charmes... Lui aussi mérite les honneurs.
Lui aussi désire être courtisé.
La menace, d'ailleurs, est à peine voilée : " Pensez-y,
belle Marquise ", car moi, je ne suis pas inquiet des ravages du
temps. Je suis même capable, dans mille ans, de faire croire que
vous n'étiez pas si belle
Est-ce une bonne façon d'utiliser
ces " charmes " présentés modestement comme "
assez éclatants " (oxymore !) ?
Conclusion
Ce poème ne met en avant que le talent de Corneille : effectivement,
celui-ci ridiculise ainsi la femme qui l'a ignoré, mais il se montre
aussi bas dans la façon de combattre. Ce manque de modestie dont
il fait preuve, et qui est peut-être justifié, ne le rend
pas sympathique. La réplique impossible de Marquise à une
telle déclaration de guerre présentée sous l'apparence
d'un poème de séduction montre bien son but : il cherche
à blesser comme il l'a sans doute été lui-même.
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