Le Temps dans la poésie

Lecture n°3/5

Pierre Corneille (1606-1684)

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Stances à Marquise

AXE DE LECTURE : Grandeur et bassesses de l'écrivain
Situation

Marquise est Thérèse Du Parc, une comédienne de la Troupe de Molière, dont sont amoureux le vieux Corneille et le jeune Racine. Ce dernier en fera sa maîtresse, ainsi que l'interprète d'Andromaque, sa célèbre pièce.
Corneille, si l'on en croit ce qu'il lui dit plutôt cruellement ici, n'a certainement pas eu droit à ses faveurs…

Lecture

Respecter le rythme de la chanson. Ce sont des vers de sept syllabes ! Scander avec une pause après la troisième ou la quatrième syllabe, ce qui provoque rapidement l'impression de mélopée voulue par l'auteur.
Les stances, selon la définition du dictionnaire, sont des " poèmes lyriques d'inspiration grave (religieuse, morale, élégiaque) composés d'un nombre variable de strophes habituellement du même type. "

Axe de lecture

Grandeur et bassesses de l'écrivain

Lecture méthodique

1. Les mesquineries :
L'attaque est brutale (strophe 1) et le coup bas. Le ton est donné : l'ironie domine dans ce texte. Si le fait énoncé est probable, voire certain, il n'y a aucune galanterie à comparer le visage de celle que l'on désire séduire avec celui d'un vieil homme. Les charmes " usés " de la fin de la cinquième strophe reprennent cette image dégradée, peu flatteuse. On retrouve ici le langage agressif de Ronsard commençant son sonnet par " Quand vous serez bien vieille… "
Dans la seconde strophe, le langage métaphorique (" roses ") , précieux et périphrastique (" aux plus belles choses ") est adouci. La femme est enfin glorifiée pour ce qu'elle a : sa beauté, certes passagère, mais bien réelle. Le superlatif vaut ici compliment. Cependant, la seconde strophe s'achève sur le " front " du narrateur, et non sur ces beautés féminines évoquées avec condescendance.
Quelle est la part de la beauté féminine dans ce poème ?
- Elle est ignorée " On m'a vu ce que vous êtes " Corneille aurait été jeune (certes) et beau (discutable ! )
- Elle est cependant évidente : " Vous en avez qu'on adore " = des charmes : " on " est une litote pour désigner Corneille. (De la même façon, " on " deviendra une litote pour désigner la Belle Marquise à la fin du poème : " Il vaut bien qu'on le courtise ")
- Cette beauté sera à " sauver " (6eme strophe), incertaine " faire croire ce qu'il me plaira ", " des yeux qui me semblent doux ", " vous ne passerez pour belle... ". Et pourtant, l'adjectif final " Belle Marquise " ne laisse pas de place au doute. Cette qualité de la jeune actrice est indéniable, et fait presque partie de sa dénomination.

2. Le " Carpe Diem " détourné :

  • L'importance du présent : " Le temps… se plaît à " : ici, l'allégorie rappelle l'ennemi de l'homme, le temps qui passe et saccage avec plaisir. " Il vaut bien qu'on le courtise… " insiste sur une situation actuelle : n'attendez pas demain pour me courtiser, comme le feront les générations futures.
  • L'immuabilité des choses : il est dans l'ordre cosmique " le cours des planètes " que cette marche vers la dégradation et la mort soit inexorable. La roue tourne pour tout le monde, dans le splendide chiasme : " On m'a vu ce que vous êtes / vous serez ce que je suis ." On peut remarquer que c'est le poète qui se trouve aux deux extrémités de ce chiasme, dans un but évident d'auto-glorification.
  • Le retournement de situation : ce qui est beau aujourd'hui sera laid demain, pour la femme. Ce qui est charme aujourd'hui pour l'écrivain sera charme toujours, pour l'éternité. La mort, le temps ne s'acharnent pas sur lui ; au contraire " dans mille ans " ces charmes " pourraient bien durer encore ". Tout le poème est construit autour de cette idée : la beauté passe mais l'œuvre survit à son auteur, le rendant par cela immortel.

3. La grandeur de l'écrivain ?

Tout ce poème est marqué par une évidente mauvaise foi, que l'on peut justifier par le dépit. Ayant été éconduit, Corneille se venge en mettant en avant ses qualités d'auteur : lui aussi vend ses charmes... Lui aussi mérite les honneurs. Lui aussi désire être courtisé.

La menace, d'ailleurs, est à peine voilée : " Pensez-y, belle Marquise ", car moi, je ne suis pas inquiet des ravages du temps. Je suis même capable, dans mille ans, de faire croire que vous n'étiez pas si belle… Est-ce une bonne façon d'utiliser ces " charmes " présentés modestement comme " assez éclatants " (oxymore !) ?

Conclusion

Ce poème ne met en avant que le talent de Corneille : effectivement, celui-ci ridiculise ainsi la femme qui l'a ignoré, mais il se montre aussi bas dans la façon de combattre. Ce manque de modestie dont il fait preuve, et qui est peut-être justifié, ne le rend pas sympathique. La réplique impossible de Marquise à une telle déclaration de guerre présentée sous l'apparence d'un poème de séduction montre bien son but : il cherche à blesser comme il l'a sans doute été lui-même.

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