Le Temps dans la poésie

Lecture n°2/5

Pierre de Ronsard (1524-1585)

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"Quand vous serez bien vieille..."

AXE DE LECTURE : Indications temporelles : la fuite du temps

Le temps et ses aléas, dans ce poème, sont représentés par :

  1. des expressions désignant des moments (en gras)
  2. la conjugaison, le temps des verbes (en trois couleurs)
  3. le champ lexical de la vieillesse (souligné)

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant
"Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle."

Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre, et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.

Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.

Demain : Les expressions désignant le temps concernent un futur hypothétique(1 : "quand"), la fin du jour (1 :"au soir") et de la vie, symboliquement. Ce futur annoncé peut ne jamais se réaliser. Ce futur est à la fois triste (12 : "regrettant") et monotone (2 : "assise", "dévidant et filant") pour la femme décrite.

Aujourd'hui : L'immortalité, l'éternité donnée par le poète (8) mérite bien un effort actuel (14 "dès aujourd'hui") mis en antithèse (13) dans le conseil final. L'expression du poète latin Horace "Carpe Diem", (cueille le jour) devient ici plus poétique et plus douce (cueille les roses du jour, avant qu'elles ne fanent, sache prendre, quand ils sont là, les plaisirs quotidiens.)

Les verbes sont au futur (rouge) dans cette prophétie, puis à l'imparfait (vert) dans le discours direct, et enfin au présent de l'impératif dans le dernier tercet, comportant la chute (et la morale).

Le futur est narratif, décrivant la situation probable d'Hélène dans quelques années. Ce futur n'est positif ni pour elle, "vieille accroupie" (11) ni pour lui (9 : "je serai sous la terre"). Il sera trop tard pour tout le monde. L'attitude négative (12 : "votre fier dédain") d'Hélène est presque présentée comme la cause de sa situation actuelle, si l'on suit l'enchaînement des vers : elle est vieille et seule car elle n'a pas aimé Ronsard. La ponctuation forte découpe d'ailleurs le sonnet en trois quatrains et un distique(=groupe de deux vers formant un sens complet) achevant cette description négative.

L'imparfait exprime la probable nostalgie d'Hélène regardant son glorieux passé ("j'étais belle") et songeant au fameux Ronsard de sa jeunesse. Peu modeste, celui-ci n'hésite pas à mettre son nom deux fois (4, 7) dans le sonnet, alors que celui d'Hélène n'apparaît jamais... Mais le poète, plus âgé, sera mort quand Hélène ne sera que vieille...

L'impératif présent insiste sur l'urgence de vivre, et de profiter des moments agréables de la jeunesse. Le conseil épicurien se double d'un conseil à la forme négative, insistant sur le peu de temps qu'il reste pour celà ("demain" est plus proche que "plus tard"). Ronsard intervient à nouveau dans ce conseil ("si m'en croyez"), omniprésent.

Le champ lexical de la vieillesse, enfin, accorde à Hélène de tristes caractéristiques. Elle n'est tout de même pas seule (plusieurs servantes sont autour d'elle, car elle est riche) mais c'est le crépuscule de sa vie, avec cet éclairage tamisé ("à la chandelle") qui contraste avec l'éclat de sa beauté passée. Le feu de cheminée symbolise aussi la nécessité de réchauffer ses vieux os, étant donné son âge. La position "accroupie" de la vieille au foyer évoque d'ailleurs de façon plus cruelle un personnage rabougri, ratatiné, et attendant la mort. L'image de la femme ainsi présentée par Ronsard à celle qu'il aime n'est certes pas celle que l'on attend d'un soupirant. Mais le poète propose en fin de sonnet une alternative heureuse à cet état : "Vivez..." Elle aussi peut accéder à une éternité "de gloire immortelle" grâce au talent de celui qui l'aura célébrée. Ainsi, le rôle du poète, permettant à celle qu'il aura élue de subsister dans la mémoire humaine, est encore une fois mis en valeur. Il faut d'ailleurs remarquer que lui ne meurt pas, mais prend "son repos" dans un euphémisme évoquant une vie bien remplie. Le côté ironique de la description du "fantôme sans os" montre bien l'insouciance qui accompagne sa disparition. Seule celle qui restera, et qui n'aura pas su profiter de la chance qu'il lui proposait, éprouvera des regrets... L'excitation des servantes au "bruit de Ronsard" contraste avec le calme du tableau. La belle Hélène ne connaît pas sa chance !

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