Le temps et ses aléas, dans ce poème,
sont représentés par :
- des expressions désignant des
moments (en gras)
- la conjugaison, le temps des verbes
(en trois couleurs)
- le champ lexical de la vieillesse (souligné)
Quand vous serez
bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous
émerveillant
"Ronsard me célébrait
du temps que j'étais belle."
Lors, vous n'aurez
servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai
sous la terre, et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai
mon repos
Vous serez au foyer une vieille
accroupie,
Regrettant mon
amour et votre fier dédain.
Vivez,
si m'en croyez, n'attendez
à demain
Cueillez dès aujourd'hui les
roses de la vie.
Demain : Les expressions désignant
le temps concernent un futur hypothétique(1
: "quand"), la fin du jour (1 :"au
soir") et de la vie, symboliquement. Ce futur annoncé peut
ne jamais se réaliser. Ce futur est à la fois triste (12
: "regrettant") et monotone (2 : "assise",
"dévidant et filant") pour la femme décrite.
Aujourd'hui : L'immortalité,
l'éternité donnée par le poète (8)
mérite bien un effort actuel (14 "dès
aujourd'hui") mis en antithèse (13)
dans le conseil final. L'expression du poète latin Horace "Carpe
Diem", (cueille le jour) devient ici plus poétique et plus
douce (cueille les roses du jour, avant qu'elles ne fanent, sache prendre,
quand ils sont là, les plaisirs quotidiens.)
Les verbes sont au futur (rouge)
dans cette prophétie, puis à l'imparfait (vert) dans
le discours direct, et enfin au présent de l'impératif
dans le dernier tercet, comportant la chute (et la morale).
Le futur est narratif, décrivant
la situation probable d'Hélène dans quelques années.
Ce futur n'est positif ni pour elle, "vieille accroupie"
(11) ni pour lui (9
: "je serai sous la terre"). Il sera trop tard pour tout le
monde. L'attitude négative (12 : "votre
fier dédain") d'Hélène est presque présentée
comme la cause de sa situation actuelle, si l'on suit l'enchaînement
des vers : elle est vieille et seule car elle n'a pas aimé
Ronsard. La ponctuation forte découpe d'ailleurs le sonnet
en trois quatrains et un distique(=groupe
de deux vers formant un sens complet) achevant cette description
négative.
L'imparfait exprime la probable
nostalgie d'Hélène regardant son glorieux passé ("j'étais
belle") et songeant au fameux Ronsard de sa jeunesse. Peu modeste,
celui-ci n'hésite pas à mettre son nom deux fois (4,
7) dans le sonnet, alors que celui d'Hélène n'apparaît
jamais... Mais le poète, plus âgé, sera mort quand
Hélène ne sera que vieille...
L'impératif présent
insiste sur l'urgence de vivre, et de profiter des moments agréables
de la jeunesse. Le conseil épicurien se double d'un conseil à
la forme négative, insistant sur le peu de temps qu'il reste pour
celà ("demain" est plus proche que "plus tard").
Ronsard intervient à nouveau dans ce conseil ("si m'en
croyez"), omniprésent.
Le champ lexical de la vieillesse,
enfin, accorde à Hélène de tristes caractéristiques.
Elle n'est tout de même pas seule (plusieurs servantes sont autour
d'elle, car elle est riche) mais c'est le crépuscule de sa vie,
avec cet éclairage tamisé ("à la chandelle")
qui contraste avec l'éclat de sa beauté passée. Le
feu de cheminée symbolise aussi la nécessité de réchauffer
ses vieux os, étant donné son âge. La position "accroupie"
de la vieille au foyer évoque d'ailleurs de façon plus cruelle
un personnage rabougri, ratatiné, et attendant la mort. L'image
de la femme ainsi présentée par Ronsard à celle qu'il
aime n'est certes pas celle que l'on attend d'un soupirant. Mais le poète
propose en fin de sonnet une alternative heureuse à cet état
: "Vivez..." Elle aussi peut accéder à une éternité
"de gloire immortelle" grâce au talent de celui qui l'aura
célébrée. Ainsi, le rôle du poète, permettant
à celle qu'il aura élue de subsister dans la mémoire
humaine, est encore une fois mis en valeur. Il faut d'ailleurs remarquer
que lui ne meurt pas, mais prend "son
repos" dans un euphémisme évoquant une vie bien
remplie. Le côté ironique de la description du "fantôme
sans os" montre bien l'insouciance qui accompagne sa disparition.
Seule celle qui restera, et qui n'aura pas su profiter de la chance qu'il
lui proposait, éprouvera des regrets... L'excitation des servantes
au "bruit de Ronsard" contraste avec le calme du tableau. La
belle Hélène ne connaît pas sa chance !
|