Le Temps dans la poésie

Lecture n°1/5

Joachim du Bellay (1522-1550)

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" Heureux qui, comme Ulysse... "

AXE DE LECTURE : Les sentiments du poète
Situation

Joachim Du Bellay rédige ce sonnet lors de son séjour de quatre ans à Rome. Il y accompagne en effet son oncle, le cardinal Jean Du Bellay, qui est en ambassade pour le roi de France auprès du pape. Joachim lui sert de secrétaire particulier et d'intendant. Ce séjour est pour Du Bellay long et pénible : il a beaucoup de travail , est malade, et voudrait revoir la France. De plus, il ne lui plaît guère d'être obligé de se comporter en courtisan. Ce sont ces deux thèmes que l'on retrouve tout au long des Regrets, recueil de 191 sonnets qu'il publiera à son retour en France, en 1558, deux ans avant sa mort, le 1er janvier 1560, à l'âge de trente-sept ans.

Les sentiments du poète

Si ce célèbre sonnet est le symbole de la nostalgie (du grec "nostos" : retour, et "algie" : douleur), il peut être intéressant d'y découvrir quels sont les autres sentiments représentés.

1. La tonalité épique

Les références mythologiques du début présentent de grands voyageurs, audacieux et emblématiques. Ulysse mettra dix ans pour rentrer chez lui, et Jason devra affronter maintes épreuves avant de revenir triomphant. Les personnages choisis sont héroïques, victorieux : si l'on part de chez soi, c'est pour la gloire, et il est hors de question de rentrer la tête basse !

2. Le plaisir d'apprendre

"plein d'usage et raison"… Le voyage peut être un apprentissage, et n'est pas simplement un déplacement inutile. D'ailleurs, le bonheur est, selon cette définition, le plaisir de rentrer ensuite "entre ses parents" (métonymie) afin de partager avec eux les fruits de ce voyage. La sagesse devra s'acquérir à l'extérieur. "Les voyages forment la jeunesse", dit le proverbe.

3. La tonalité lyrique élégiaque

La souffrance et l'amour du foyer : l'impatience (" quand reverrai-je ") se transforme en doute et en inquiétude (" reverrai-je "). L'exclamation " hélas " au milieu du cinquième vers est bien ce cri de nostalgie que poussent tous ceux qui sont loin de chez eux et qui aspirent à y retourner.

4. L'amour du pays :

Les anaphores insistent sur le côté familier et simple de l'Anjou, opposé à la glorieuse, mais trop froide ville de Rome. On pourrait presque parler de chauvinisme (le terme est anachronique !) car tout ce qui est " petit ", " pauvre " semble préférable au narrateur, simplement parce que c'est chez lui (cf. les adjectifs possessifs " mon petit village ", " ma pauvre maison " s'opposent aux articles définis " Mon Loire… Le Tibre… ").

5. La simplicité des goûts, la modestie :

" ardoise " plutôt que " marbre " ne sont pas sans ambiguïté. Les adjectifs en antithèse (" dur ", " fine ") montrent le caractère irrationnel de ces préférences. Il s'agit d'aimer son pays sans vraiment se l'expliquer. Le luxe des palais romains ne déplaisait pas tant que cela à du Bellay. Les palais ont des "fronts audacieux" et l'auteur admire par cette personnification leurs constructeurs.

6. Le manque affectif :

La famille est l'une des valeurs mises en évidence dans ce poème avec des références architecturales ou géographiques. Au "front" (la façade) des palais s'oppose la "cheminée" du "petit village", dans une métonymie qui évoque le foyer, au sens propre comme au sens figuré. L'on retrouve cette idée de petit chez soi avec " le clos " (la clôture) qui enferme, ainsi que dans le dernier vers : la douceur angevine, c'est la douceur du repos, de la maison, du coin du feu, de la stabilité, opposée au voyage et à l'agitation de l'extérieur, "l'air marin" qui caractérise les héros mythologiques Ulysse ou Jason. Le personnage est casanier, et il rêve de cheminée, de portes fermées… quand il vit dans un somptueux mais froid ("marbre dur") palais romain.

Conclusion

La partialité de l'auteur est certaine, mais il ne s'agit pas ici de logique : Rome, ville antique, éternelle, magnifique, reste une ville impersonnelle aux yeux de l'exilé qui soupire en songeant à sa famille et à son pays natal. Les sentiments qu'il exprime sont universels et peuvent être résumés dans une formule : le mal du pays.

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