Situation
Joachim Du Bellay rédige ce sonnet lors de son séjour
de quatre ans à Rome. Il y accompagne en effet son oncle, le cardinal
Jean Du Bellay, qui est en ambassade pour le roi de France auprès
du pape. Joachim lui sert de secrétaire particulier et d'intendant.
Ce séjour est pour Du Bellay long et pénible : il a beaucoup
de travail , est malade, et voudrait revoir la France. De plus, il ne
lui plaît guère d'être obligé de se comporter
en courtisan. Ce sont ces deux thèmes que l'on retrouve tout au
long des Regrets, recueil de 191 sonnets qu'il publiera à son retour
en France, en 1558, deux ans avant sa mort, le 1er janvier 1560, à
l'âge de trente-sept ans.
Les sentiments du poète
Si ce célèbre sonnet est le symbole de la nostalgie (du
grec "nostos" : retour, et "algie" : douleur), il
peut être intéressant d'y découvrir quels sont les
autres sentiments représentés.
1. La tonalité épique
Les références mythologiques du début présentent
de grands voyageurs, audacieux et emblématiques. Ulysse mettra
dix ans pour rentrer chez lui, et Jason devra affronter maintes épreuves
avant de revenir triomphant. Les personnages choisis sont héroïques,
victorieux : si l'on part de chez soi, c'est pour la gloire, et il est
hors de question de rentrer la tête basse !
2. Le plaisir d'apprendre
"plein d'usage et raison"
Le voyage peut être
un apprentissage, et n'est pas simplement un déplacement inutile.
D'ailleurs, le bonheur est, selon cette définition, le plaisir
de rentrer ensuite "entre ses parents" (métonymie) afin
de partager avec eux les fruits de ce voyage. La sagesse devra s'acquérir
à l'extérieur. "Les voyages forment la jeunesse",
dit le proverbe.
3. La tonalité lyrique élégiaque
La souffrance et l'amour du foyer : l'impatience (" quand reverrai-je
") se transforme en doute et en inquiétude (" reverrai-je
"). L'exclamation " hélas " au milieu du cinquième
vers est bien ce cri de nostalgie que poussent tous ceux qui sont loin
de chez eux et qui aspirent à y retourner.
4. L'amour du pays :
Les anaphores insistent sur le côté familier et simple
de l'Anjou, opposé à la glorieuse, mais trop froide ville
de Rome. On pourrait presque parler de chauvinisme (le terme est anachronique
!) car tout ce qui est " petit ", " pauvre " semble
préférable au narrateur, simplement parce que c'est chez
lui (cf. les adjectifs possessifs " mon petit village ", "
ma pauvre maison " s'opposent aux articles définis "
Mon Loire
Le Tibre
").
5. La simplicité des goûts, la modestie :
" ardoise " plutôt que " marbre " ne sont
pas sans ambiguïté. Les adjectifs en antithèse ("
dur ", " fine ") montrent le caractère irrationnel
de ces préférences. Il s'agit d'aimer son pays sans vraiment
se l'expliquer. Le luxe des palais romains ne déplaisait pas tant
que cela à du Bellay. Les palais ont des "fronts audacieux"
et l'auteur admire par cette personnification leurs constructeurs.
6. Le manque affectif :
La famille est l'une des valeurs mises en évidence dans ce poème
avec des références architecturales ou géographiques.
Au "front" (la façade) des palais s'oppose la "cheminée"
du "petit village", dans une métonymie qui évoque
le foyer, au sens propre comme au sens figuré. L'on retrouve cette
idée de petit chez soi avec " le clos " (la clôture)
qui enferme, ainsi que dans le dernier vers : la douceur angevine, c'est
la douceur du repos, de la maison, du coin du feu, de la stabilité,
opposée au voyage et à l'agitation de l'extérieur,
"l'air marin" qui caractérise les héros mythologiques
Ulysse ou Jason. Le personnage est casanier, et il rêve de cheminée,
de portes fermées
quand il vit dans un somptueux mais froid
("marbre dur") palais romain.
Conclusion
La partialité de l'auteur est certaine, mais il ne s'agit pas
ici de logique : Rome, ville antique, éternelle, magnifique, reste
une ville impersonnelle aux yeux de l'exilé qui soupire en songeant
à sa famille et à son pays natal. Les sentiments qu'il exprime
sont universels et peuvent être résumés dans une formule
: le mal du pays.
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