Axe de lecture : Les comportements
I - La séduction
a) Laurine :
Le pouvoir de séduction de Georges Duroy est mis en évidence
par l'attitude de Laurine, la petite fille de Mme de Marelle. Elle est
sous le charme et le ch. lex de la surprise montre la différence
entre son attitude habituelle et celle-ci (l.8 : "un air surpris",
l.14 : "la mère s'étonna", l. 20 : "poussant
un cri d'étonnement", 21 : "miracle"). Elle est
fascinée, "apprivoisée" (l.21) par Duroy. Ainsi,
la gent féminine tout entière (quel que soit son âge)
succombe à cet homme.
La petite fille est, dans la suite du roman, celle qui trouvera son surnom
à Bel-Ami.
b) George Duroy :
Il doit manoeuvrer finement, car il lui faut charmer sans lourdeur, et
réussir à séduire tout le monde, hommes et femmes.
Il s'agit pour lui de réaliser une "oeuvre de conquête"
(terme mélioratif) mais aussi une "besogne", terme très
péjoratif, qui le compare implicitement à un gigolo.
Il fait son entrée dans cet univers, va peut-être y trouver
du travail, de l'argent... La façon dont il s'y prend avec Laurine
nous montre cette habileté. Il réussit à avoir un
"ton galant et paternel" à la fois, ce qui est plutôt
contradictoire. Il utilise pour cela la technique du billard (pousser
une boule qui en poussera une autre) pour s'attaquer à cette société.
Par la petite fille, il atteindra la mère, par la femme, il atteindra
le mari (et lui prendra sa fille, dans le cas de M. Walter)... La réflexion
qui illustre ce procédé : "...quelque chose de ce baiser
eût dû retourner à la mère".
Cette méthode qui sera démontrée tout au long du
roman consiste donc à s'attaquer au point faible de la victime.
Et le point faible de tous ces ambitieux journalistes et hommes d'affaires,
c'est qu'ils sont mariés à des femmes malheureuses en amour...
et prêtes à tomber dans les bras du séducteur qu'il
saura être.
Opportuniste, efficace, il ne perd pas une occasion (l.12 : "s'asseyant
aussitôt"). D'ailleurs, la présence du champ lexical
du temps dans la réponse de Mme de Marelle montre bien l'urgence
de la situation : "pour aujourd'hui... pas toujours". Il s'agit
d'une offre limitée dans le temps !
Surpris par l'aide que lui accorde Mme de Marelle dans son entreprise,
il ne sait plus trop, pendant quelques instants, comment réagir
: "il rougit, sans répondre". Pour une fois, les rôles
sont inversés. Il n'est plus dans la position du séducteur,
mais dans celle de la personne que l'on cherche à conquérir.
c) Mme de Marelle :
En effet, celle-ci ne subit pas les tentatives de Duroy. Bien au contraire,
elle lui fait des avances à peine voilées. Son discours
est complice et ambigu : "Réponds : je veux bien, Monsieur"
(l.10). Elle utilise elle-aussi la technique du ricochet, en faisant venir
sa fille auprès d'elle "sans raison" (avouable), et s'exprime
"en riant", l.9... , montrant là sa spontanéité
et son plaisir.
L'enfant sert en effet de prétexte, de lien entre elle et lui.
Les deux personnages manquent encore de points communs, et cette petite
fille amoureuse de Georges Duroy est le meilleur moyen pour la mère
d'approcher le bel homme. Le compliment qu'elle lui fait d'ailleurs est
très net : "Vous êtes irrésistible". Cela
signifie bien que personne (et elle au premier chef) ne peut résister
à celui qui ne se nomme pas encore Bel-Ami.
Mais Georges Duroy est surtout préoccupé par les hommes
qu'il devra affronter. Les femmes ne sont qu'un moyen de réussir...
II- La compétition
a)Les adversaires potentiels :
Dans sa conquête du monde, Duroy sait qu'il aura à lutter
contre ceux qui partagent les mêmes ambitions que lui : J. Rival
est donc l'adversaire le plus sérieux. Il est célibataire,
bel homme lui aussi, fort physiquement et surtout, il sait se battre en
duel. Inutile de s'en faire un ennemi. D'ailleurs, sa poignée de
main répondra "cordialement" à la pression de
Georges Duroy, car il ne se sent pas menacé par lui.
Au contraire, Duroy préférera abandonner la place quand
il verra s'approcher Jacques Rival. La "peur de gâter"
son "uvre de conquête", en insistant trop ce jour-là,
sera évoquée comme un prétexte pour prendre la fuite...
Car le roman (cf. épisode de la nuit du duel) insiste bien là-dessus
: notre "héros" est tout sauf courageux.
Le test de personnalité :
La poignée de main est le moyen original qu'a trouvé Maupassant
pour nous faire sentir ce milieu. De la psychologie, peu fiable, certes,
mais ayant l'intérêt de la brièveté. Que valent
ces hommes ?
Georges Duroy soupèse, tâte ses adversaires, évalue
leur force physique, leur capacité de résistance et montre
sa propre "force"(l.26).
Sa façon de porter son jugement est caricaturale mais le bilan
est, pour lui, tout à fait positif : à part Rival, personne
ne pourra lui résister. Que détecte-t-il ? La température,
l'humidité, la force de la poignée de main sont des indices
de la volonté et de la santé de ces hommes :
- La main "sèche et chaude", qui "répond
cordialement" est celle du rival (qui se nomme Rival).
- La main "humide et froide", tout le contraire, est celle
de Varenne, le vieux journaliste qui ne pense déjà qu'à
la mort, et qui en a peur (main qui transpire, moite).
- La main "froide et molle" est celle du patron Walter, un
personnage plutôt efficace et impitoyable en affaires, mais sans
grande volonté, qui se laissera prendre sa femme, sa fille, ses
millions, sans opposer de résistance.
- La main "grasse et tiède", enfin, est celle de l'ami
trop bien nourri, qui a vécu dans le confort et qui est maintenant
malade. Cette vie de facilité ("grasse") et de douceur
("tiède") va bientôt s'achever...
Pour les femmes, la poignée de main n'évalue pas. Duroy
sait déjà l'effet qu'il produit. "La petite main tendue"
doit être prise et serrée doucement, synecdoque de sa propriétaire.
(On tend à Georges Duroy juste une main, et lui prend tout le reste...)
III - Le bilan : un bon terrain de chasse
Cette soirée chez les Forestier est très positive, rentable,
car elle a permis à Georges Duroy :
- de rencontrer et de juger d'un coup tous les acteurs de son ascension
sociale,
- de trouver sa méthode : prendre aux hommes ce qu'ils possèdent
de plus intéressant. Pour cela, il devra utiliser la technique
des petits pas, du ricochet, de la manoeuvre sournoise. Il devra se
faire aimer de sa victime. Manque de franchise, dissimulation, hypocrisie,
esquive seront ses armes.
- d'évaluer l'effet qu'il peut produire sur les femmes de cette
classe sociale qu'il ne connaissait pas,
- de prendre confiance en lui. Le passage final est d'ailleurs très
drôle, à ce propos.
Conclusion
Intéressante utilisation de la focalisation interne, en fin de
texte, pour faire surgir sous les yeux de Duroy un gamin qui gambade dans
l'escalier, qui se retrouve honteux face à son image en flagrant
délit d'impatience, et qui se calme en s'admirant, en se trouvant
beau...
La technique de Maupassant est imparable. Elle nous permet de poser alors
un regard ironique et distant sur ce personnage. Au début du texte,
en observateurs extérieurs, nous l'observions avec inquiétude
faire ses premiers pas dans les salons parisiens. Allait-il faire une
gaffe, mettre les pieds dans le plat ? Non. Nous admirions sa prudence,
sa retraite stratégique à l'arrivée du "Rival"...
Au moment de la poignée de main, nous nous mettons à partager
ses émotions et ses impressions. Nous entrons alors dans la cuisine
(sale) du séducteur et de l'arriviste. Le spectacle est nettement
moins joli, dans cet esprit calculateur : "Lui, je l'aurai, il est
tout mou... Lui, je dois m'en méfier, il sait se battre ; lui,
c'est mon ami, mais sa femme, je la lui prends quand je veux..."
Le personnage que nous découvrons à la fin du texte, devant
le miroir est :
- "émerveillé d'être aussi joli garçon",
et il s'admire avec un narcissisme certain...
- prétentieux "prenant congé de son image" et
continuant à jouer un rôle, même tout seul !
- égocentrique, imbu de sa personne, manquant totalement de modestie
- et donc, finalement, ridicule et pitoyable.
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