I - La prise de parole :
Dans cette courte scène de 21 vers (vivacité), Pyrrhus
mène nettement le jeu :10 vers (Pyrrhus) + 2 vers (Oreste) + 8
vers (Pyrrhus) + 0,25 vers (Oreste) . Oreste ne prononce que deux vers
auxquels s'ajoutent les deux mots de la fin.
Pyrrhus jubile. Il annonce sa décision en deux tirades, en dosant
ses effets, la première de dix vers, la seconde de huit. Dans la
première tirade, il livre Astyanax, dans la seconde, il épouse
Hermione.
La situation d'Oreste est celle d'un témoin de la décision,
pas celle d'un interlocuteur. Et il va être mis face à l'évidente
: il n'a aucun pouvoir.
II - La ruse de Pyrrhus dans la première tirade :
a ) L'utilisation des pronoms personnels "Je" et "vous"
:
Observer comment le pronom personnel de première personne est en
tête de vers, en début d'expression et en position dominante
dans la tirade, qui s'achève cependant par une ouverture : "on",
représentant "nous, mon peuple et moi" et surtout par
"votre victime". Ainsi, Oreste est désigné comme
responsable, voire comme assassin du petit enfant innocent.
b) Cette tirade présente une argumentation simple : Vous
m'avez convaincu, vous aviez raison !
Le travail psychologique fait par Oreste a porté ses fruits, prétend
Pyrrhus : Le champ lexical de la conviction est utilisé : "vos
raisons", "je l'avoue", "comme vous", "je
ne condamne plus", "légitime". En effet, vos arguments
faisaient preuve de "puissance", de "force", d'"équité".
Liste des valeurs chevaleresques auxquelles Pyrrhus avait failli manquer
: la Grèce : alliés politiques (la patrie) , mon père
: la famille , moi-même : l'honneur.
Ces valeurs reprennent leurs droits. Pyrrhus retourne à la raison
et livre Astyanax.
III - La réaction d'Oreste
Oreste est surpris, mais il réagit rapidement. L'ambassadeur ne
félicite pas le roi de se plier ainsi à la demande que lui-même
avait faite... La contradiction entre ce qu'il a demandé et ce
qu'il voulait en réalité (le refus de Pyrrhus) éclate
ici. Mais il réagit avec ironie : Si le conseil est "prudent",
c'est que Pyrrhus a eu raison d'avoir peur des menaces des Grecs. Et s'il
est "rigoureux", c'est que l'esprit strict, sévère
de Pyrrhus ne s'embarrasse pas de scrupules. Il sait et a toujours su
être cruel.
Le second vers est très ambigu : il renvoie l'accusation. Ce n'est
pas ma victime, c'est votre rançon ! Le "sang d'un malheureux"
montre Oreste comme plus sensible au malheur de l'enfant que Pyrrhus.
Il s'agit d'un agneau, d'une victime qui expie pour les autres, d'un sacrifice
au service d'une cause peut-être juste, "la paix", mais
d'une cause que l'on "achèt[e]" au prix de la mort d'un
innocent.
IV - L'estocade finale : la méchanceté de Pyrrhus.
Oui, mais je veux, Seigneur,
l'assurer davantage (1):
D'une éternelle paix Hermione est le gage ;
Je l'épouse (2). Il semblait qu'un spectacle si doux
N'attendît en ces lieux qu'un témoin tel que vous (3). |
Pyrrhus pousse plus loin la cruauté
(1). Il veut faire plier Oreste, le rabaisser, l'humilier totalement
et lui porter le coup de grâce final. Il le fait grâce
à Hermione (2). Son rival est à sa merci, et il ne se
gène pas pour le faire souffrir (3).
Le ton change :
- rappel sec de son rang et de son rôle d'ambassadeur (4),
- rappel des liens familiaux, qu'il faut maintenant distinguer des
liens sentimentaux (5). Pyrrhus feint d'ignorer la passion d'Oreste
pour sa cousine et s'adresse, soit-disant, au cousin, non à
l'amoureux.
- ordres (6) et obligation de les exécuter : trois impératifs
enchaînés.
- demande protocolaire en mariage (7) : C'est Oreste qui devra amener
Hermione à Pyrrhus, en tant que proche parent et en tant que
représentant de son père Ménélas (5).
La double synecdoque :"son cur" et "votre main"
(7) éclate les personnages en morceaux, les déchire,
sépare les sentiments amoureux d'Oreste de ses devoirs de prince
et d'ambassadeur grec. |
Vous y représentez tous les Grecs
et son père (4),
Puisqu'en vous Ménélas voit revivre son frère
(5).
Voyez-la(6) donc. Allez (6). Dites-lui(6) que demain
J'attends, avec la paix, son cur de votre main (7). |
Conclusion :
Après ces deux mots, Oreste quitte la scène. Evidemment, on
est loin de la réponse intelligente. La surprise, la stupeur, la
stupéfaction, la sidération... Bref ! Il ne lui reste plus
qu'à s'en prendre à son destin, aux dieux qui lui en veulent
depuis toujours (voir la légende concernant sa vie) et qui s'acharnent
encore une fois sur lui. Il sait qu'il est maudit.
Pyrrhus triomphe, surpris lui-même d'avoir fait son devoir. Dans la
scène suivante il s'en vantera à son conseiller Phnix,
qui n'en revient pas non plus mais qui approuve, bien entendu. Pour une
fois que Pyrrhus fait ce qu'il doit faire !
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