Situation
Oreste, ambassadeur grec, est reçu à la cour de Pyrrhus, roi d'Épire.
Il aime depuis toujours Hermione, fiancée à Pyrrhus. La mission d'Oreste
est de ramener aux grecs le petit Astyanax, fils d'Hector et d'Andromaque.
Pyrrhus, roi d'Épire, est tombé amoureux de sa captive Andromaque, veuve
du grand chef troyen Hector et fidèle à la mémoire de cet époux. Hector
a en effet été tué, durant la guerre de Troie, par le père de Pyrrhus,
le glorieux Achille. Si Pyrrhus aime tant Andromaque, il refusera de laisser
partir et de sacrifier son fils Astyanax, que les Grecs veulent tuer.
Oreste aura donc failli à sa mission qui consiste à le ramener, mais il
aura eu sur le plan sentimental, l'avantage de séparer définitivement
Hermione, la princesse grecque, de Pyrrhus à qui elle est fiancée. Elle
ne pourrait évidemment pas rester chez celui qui aurait décidé d'épouser
une autre femme. Oreste se demande s'il ne va pas purement et simplement
enlever Hermione (v.99) Ici, nous sommes au début de la pièce : Oreste
va faire sa demande à Pyrrhus, au nom des Grecs... La scène se passe au
palais de Buthrote, la capitale de l'Épire.
Axe : Deux négociateurs de talent
V.140 : "Pressez, demandez tout pour ne rien
obtenir" a conseillé Pylade, roi et confident d'Oreste. c'est ce qu'il
fait ici...
La demande d'ORESTE
V.143 à 150 : Les salutations
et les compliments, exagérés - Le rôle de chacun est précisé :
Oreste est la "voix" de "tous les Grecs" (143),
fier d'avoir été choisi pour rencontrer (périphrases, v.146)
"le fils d'Achille et le vainqueur de Troie". Une extrême politesse ("Seigneur",
v.145) et un peu de flatterie ("nous admirons
vos coups", v.147) permettent de montrer le
rôle primordial de Pyrrhus dans la conquête de Troie.
V.148 : "Hector tomba sous lui, Troie expira
sous vous" : Une suite de figures de style :
- Personnification de Troie (sublimation de la tragédie).
- Mort d'Hector présentée par un euphémisme.
- Parallélisme de construction pour comparer les effets du père et
ceux du fils, à l'avantage du fils...
V.151 : L'objet de l'ambassade est évoqué
: le fils doit achever ce que le père a commencé, et non "entretenir le
reste"(154) d'une trop longue guerre. Rappel
du devoir donc.
V.155 : Pourquoi ? Parce que
le seul nom d'Hector fait encore frémir les veuves et les filles grecques,
pensant aux enfants et aux époux qu'Hector leur a ravis. Le fils, Astyanax,
sera peut-être "tel qu'on a vu son père"(163).
Les Grecs ont peur.
V.165 : Seconde raison, personnelle
("Ce que JE pense") : Vous êtes trop gentil ("vos soins", "récompense"
sont ironiques.) La fable du paysan recueillant un serpent et le réchauffant,
avant qu'il ne s'attaque à celui qui l'a sauvé de la mort, est évoquée.
Cette faiblesse, de la part d'un guerrier, peut être fatale. Il
faut être méfiant, prudent.
V.169 : Troisième raison : Faites
plaisir à vos alliés, les Grecs, et non à vos ennemis, les Troyens.
Petite menace perfide : "Assurez leur vengeance, assurez votre vie" pendant
qu'il en est temps car votre ennemi n'est pour l'instant qu'un petit enfant,
qui, pour s'entraîner, "s'essaiera sur vous" et finira par les Grecs.
Il faut faire vite, et ne pas vexer ses alliés. Faire
autrement serait trahir.
La réponse de PYRRHUS
Les salutations et les compliments, ironiques
cette fois - La Grèce a peur pour moi ? Quand on m'a dit que c'était "le
fils d'Agamemnon" (= Oreste, vers 178) qui
venait en ambassade, j'ai cru à un problème plus grave, à "plus de grandeur"
(v.176). En effet, ce projet est ridiculisé et décrit en termes humiliants
car il consiste à ne "conspirer que la mort d'un enfant" (v.180).
On retrouve l'allusion à une ascendance paternelle glorieuse ainsi que
le terme de "seigneur" (v.175) mais la réponse,
s'adressant à "La Grèce" et non à l'ambassadeur, est dès le départ négative.
Occupez-vous de "soins plus importants"(v.174).
Et pourquoi un tel refus ?
D'abord, parce que les captifs sont un droit
du vainqueur. Le champ lexical de la justice "à qui prétend-on"
(v.181), "quelque droit" (v.182),
"pas permis" (v.183),"mes droits" (v.191)
montre bien cette réticence du héros, qui veut avoir tous les privilèges
de sa victoire. Si on les lui ôte, ce sera une injustice (telle que celle
que l'on retrouve déjà chez son père, privé par celui d'Oreste, de sa
captive Briséis.) Le rappel de la règle est exposé par l'exemple : "Le
sort" (v.187) a désigné Hécube pour Ulysse,
Cassandre pour Agamemnon, Andromaque et son fils pour Pyrrhus : Et personne
n'a protesté alors...
Ensuite, parce que Pyrrhus ne saurait avoir peur d'un danger
si peu probable. Or, il ne lit pas dans l'avenir,
explique-t-il ironiquement (v.196 : "je ne
sais point prévoir les malheurs de si loin"). Quand il contemple Troie,
il se souvient de la ville d'autrefois, "si superbe en remparts, en héros
si fertile" : (chiasme flamboyant des adjectifs, vers 198).
Cette ville, "Maîtresse de l'Asie", il l'a pourtant conquise et anéantie
: "des tours que la cendre a couvertes, un fleuve teint de sang, des campagnes
désertes, un enfant dans les fers". Par cette énumération, le déclin est
sensible. Il ne reste de Troie qu'un enfant sans défense. Vers 204: "Troie
en cet état", est-ce vraiment un danger ?
Dernier argument : un an après, c'est trop
tard. Il aurait fallu le faire un an avant, pendant la guerre et
dans l'excitation du combat. Maintenant, ce serait criminel. Le rappel
de la cruauté de la guerre, par le champ lexical de l'horreur, justifie
la clémence du vainqueur ("cendre", "sang", "fers", "immoler", "morts",
"accabler", "meurtre", "coups", "courroux", "cruauté", "sang d'un enfant").
Pourquoi s'acharner sur ce peuple, après lui avoir tout pris ?
Il évoque ce qui aurait dû se produire, la mort immédiate du petit garçon
et de son grand-père Priam, le père d'Hector, à l'aide d'une tournure
abstraite : "la vieillesse et l'enfance / En vain sur leur faiblesse appuyaient
leur défense". Le vieillard n'aurait pas pu sauver l'enfant et réciproquement.
Ils seraient tous les deux morts alors, en pleine bataille, et cela aurait
été normal, pendant cette nuit de victoire (vers 211)
où ces deux éléments, présentés en allégorie, poussent les hommes à accomplir
des choses qu'ils ne font pas en temps normal.
Ce n'est donc pas de la faiblesse qui a poussé Pyrrhus à ne pas sacrifier
cet enfant, c'est de la grandeur. Selon lui, les Grecs ne peuvent pas
considérer un enfant comme un ennemi sérieux.
"Qu'ils poursuivent ailleurs ce qui reste de Troie". Il envoie donc les
Grecs (v.220) se faire voir ailleurs ;-)
Conclusion
Oreste va tenter de poursuivre le débat, sans conviction. Il sait qu'il
ne partira pas avec Astyanax. Il rappelle cependant :
- qu'Astyanax aurait dû l'être mais qu'il n'a pas été tué par erreur,
à ce moment-là,
- que les Grecs pourraient s'étonner et se vexer qu'un allié soutienne
l'ennemi,
- qu'Hermione et son père sauront peut-être faire changer d'avis le
vainqueur de Troie.
Pyrrhus reste ferme : Je n'ai pas peur des Grecs et ne suis ni l'esclave
d'Hermione, ni celui de son père.
Il conseille à Oreste d'aller rendre visite à sa cousine Hermione, en
partant. "Je ne vous retiens plus" (v.247)
Quand son ami Phœnix lui demandera pourquoi il pousse Oreste dans les
bras de sa maîtresse (v.249), Pyrrhus répond
à celui-ci qu'il sait bien qu'Oreste en est amoureux, et qu'il pourrait
peut-être le débarrasser d'une fiancée encombrante. "Qu'elle parte [...]
Tous nos ports sont ouverts et pour elle et pour lui." (v.255)
Ainsi le double langage et le double jeu de ces deux personnages est total.
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