Texte n°7/7

 
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La consécration - Excipit

   




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Du Roy l'écoutait, ivre d'orgueil. Un prélat de l'Église romaine lui parlait ainsi, à lui. Et il
sentait, derrière son dos, une foule, une foule illustre venue pour lui. Il lui semblait qu'une
force le poussait, le soulevait. Il devenait un des maîtres de la terre, lui, lui, le fils des deux
pauvres paysans de Canteleu.
Il les vit tout à coup dans leur humble cabaret, au sommet de la côte, au-dessus de la
grande vallée de Rouen, son père et sa mère, donnant à boire aux campagnards du pays. Il
leur avait envoyé cinq mille francs en héritant du comte de Vaudrec. Il allait maintenant
leur en envoyer cinquante mille ; et ils achèteraient un petit bien. Ils seraient contents,
heureux.
L'évêque avait terminé sa harangue. Un prêtre vêtu d'une étole dorée montait à l'autel. Et
les orgues recommencèrent à célébrer la gloire des nouveaux époux. […]
Puis des voix humaines s'élevèrent, passèrent au-dessus des têtes inclinées. Vauri et
Landeck, de l'Opéra, chantaient. L'encens répandait une odeur fine de benjoin, et sur l'autel
le sacrifice divin s'accomplissait ; l'Homme-Dieu, à l'appel de son prêtre, descendait sur la
terre pour consacrer le triomphe du baron Georges Du Roy.
Bel-Ami, à genoux à côté de Suzanne, avait baissé le front. Il se sentait en ce moment
presque croyant, presque religieux, plein de reconnaissance pour la divinité qui l'avait ainsi
favorisé, qui le traitait avec ces égards. Et sans savoir au juste à qui il s'adressait, il la
remerciait de son succès. Lorsque l'office fut terminé, il se redressa, et donnant le bras à sa
femme, il passa dans la sacristie. Alors commença l'interminable défilé des assistants.
Georges, affolé de joie, se croyait un roi qu'un peuple venait acclamer. Il serrait des mains,
balbutiait des mots qui ne signifiaient rien, saluait, répondait aux compliments : " Vous êtes
bien aimable " […]
D'autres personnes se poussaient. La foule coulait devant lui comme un fleuve. Enfin elle
s'éclaircit. Les derniers assistants partirent. Georges reprit le bras de Suzanne pour retra-
verser l'église.
Elle était pleine de monde, car chacun avait regagné sa place, afin de les voir passer
ensemble. Il allait lentement, d'un pas calme, la tête haute, les yeux fixés sur la grande
baie ensoleillée de la porte. Il sentait sur sa peau courir de longs frissons, ces frissons froids
que donnent les immenses bonheurs. Il ne voyait personne. Il ne pensait qu'à lui.
Lorsqu'il parvint sur le seuil, il aperçut la foule amassée, une foule noire, bruissante, venue
là pour lui, pour lui Georges Du Roy. Le peuple de Paris le contemplait et l'enviait.
Puis, relevant les yeux, il découvrit là-bas, derrière la place de la Concorde, la Chambre des
députés. Et il lui sembla qu'il allait faire un bond du portique de la Madeleine au portique du
Palais-Bourbon. Il descendit avec lenteur les marches du haut perron entre deux haies de
spectateurs. Mais il ne les voyait point ; sa pensée maintenant revenait en arrière, et devant
ses yeux éblouis par l'éclatant soleil flottait l'image de Mme de Marelle rajustant en face de
la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours défaits au sortir du lit.

 

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