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Lecture méthodique

Acte IV, scène 5

I - Situation de la pièce et du passage :


Cette pièce a été écrite en 1667, à l'époque classique, par Racine, poète dramatique rival de Corneille. Andromaque, tragédie racinienne, se déroule à la fin de la guerre de Troie. Pyrrhus, roi grec, est amoureux de sa prisonnière troyenne, Andromaque, et il a décidé de rompre ses fiançailles avec Hermione, princesse grecque. Dans cette tirade, Hermione lui en fait le reproche de façon violente.


II - ETUDE :

  • La désignation de Pyrrhus par Hermione : Hermione passe du tutoiement au vouvoiement et revient en fin de tirade au tutoiement : les reproches, la soumission, la colère et la menace se succèdent dans cette désignation. En effet, Pyrrhus est d'abord " cruel " (1) car il joue avec les sentiments amoureux, puis accusé de " parjure " (7) car il a promis de l'épouser. Mais Hermione l'aime et ne reçoit rien en retour : " ingrat " (13), il ne voit pas toutes les humiliations qu'elle a subies pour lui. Dans cette première partie, elle utilise le tutoiement.
  • Ensuite, elle demande une faveur : son ton humble " Seigneur (14) et " Maître " sert alors à tenter de le fléchir. De plus, par respect, elle le vouvoie. Dans l'attitude distante de celui-ci, le mépris semble évident. Alors Hermione éclate. Elle revient brusquement au tutoiement : " Vous ne répondez point ? / Perfide [...] tu comptes les moments que tu perds avec moi ! "(21). Cet épithète (" perfide ") marque la colère d'Hermione consternée du double jeu de celui qu'elle aime. Prise d'une fureur froide, elle finit par menacer celui qu'elle appelait " Maître " quelques instants avant. Cette fois, elle parle d'elle à la troisième personne, devenant une menace pour lui (" crains encor d'y trouver Hermione " au vers 31)
  • La violence de la passion : La passion, d'abord, s'exprime dans une déclaration d'amour très claire, voire impudique (vers 1, 10 ou 13). Hermione s'abaisse et se présente comme capable de tout accepter de la part de celui qu'elle aime, même son infidélité. Elle a honte (v.5) de son comportement qui manque de noblesse, mais elle n'y peut rien . Vers 13 :" Je doute encor si je ne t'aime pas "Tout ce qu'elle a subi et accepté se trouve réuni dans les treize premiers vers " aimé ", " dédaigné ", " mes bontés ", " mon injure ", " j'attendais ", " j'ai cru ", " je t'aimais inconstant ", " même en ce moment ".
  • La ponctuation (exclamative et interrogative) exprime cette violence, marquée aussi par les anaphores (" Va ") et les verbes à l'impératif. Les questions rhétoriques (v.1 et 10), la colère (v. 10 ou 21), nous montrent bien une femme jalouse et hors d'elle.
  • La menace, enfin, vient achever cette tirade ou l'exaspération d'Hermione culmine, face à la froideur de celui qui la repousse avec dédain. Les Dieux seront ses alliés (v.28 : " Ces Dieux, ces justes Dieux n'auront pas oublié & ") car elle est dans son bon droit (v.29 : " Que les mêmes serments avec moi t'ont lié ") Ils n'accepteront pas ce parjure " au pied des autels " (v.30). Le dernier vers exprime bien le risque que prend alors Pyrrhus : Qu'y aura-t-il au pied de ces autels ? Hermione morte (elle menace peut-être de se suicider au vers 18) ou un assassin envoyé par elle (ce qu'elle fera) ?
  • La tonalité du passage :
    • Lyrique, cette tirade décrit les sentiments d'Hermione prête à tout par amour. Le champ lexical de la passion s'y mêle à la synecdoque du coeur qui s'exprime ou qui s'absente vers l'être aimé. C'est une véritable déclaration d'amour.
    • Élégiaque, elle présente une Hermione abattue, prête à accepter sa défaite et à mourir, soumise, résignée (v.16 : " achevez votre hymen, j'y consens ") et triste. Cet état d'esprit ne durera pas longtemps !
  • Le texte s'achève sur le ton épique : la suite d'impératifs, les anaphores violentes poussent Pyrrhus à précipiter son crime (son mariage sacrilège) et sa propre mort. Les termes employés expriment la grandeur : v.26," la foi ", 27, " majesté sacrée " des " Dieux ", v.29, " serments ". La gradation finale rappelle l'appel aux armes de Don Diègue à Rodrigue (" Va, cours, vole et nous venge ! ") dans le Cid de Corneille. Ce rappel ironique montre bien l'attitude combative d'Hermione : inutile de traîner, s'il doit l'abandonner de toutes façons ! Elle ne laissera pas celui qu'elle aime à quelqu'un d'autre et elle saura s'en débarrasser...


III - Conclusion :

La catharsis dans le théâtre classique.


La catharsis est la " purgation des passions " par le spectacle de celles-ci et celui des conséquences que cette passion peut entraîner. La tragédie doit inspirer la terreur et la pitié du spectateur .Ce principe d'Aristote mène toutes la tragédie racinienne En voyant sur scène ces personnages livrés aux tourments de leur amour impossible ou fou, le spectateur sera purifié de ses propres passions, comme un sacrifice animal prendrait sur lui les péchés humains. Ici, le spectacle d'Hermione qui se rabaisse par amour toute princesse qu'elle est, et qui perd toute dignité face à celui qui la méprise, celui de Pyrrhus prêt à oublier son devoir et à risquer la mort ou la destitution par amour pour une esclave, la jalousie exacerbée d'Hermione, qui lui fera commanditer un crime, sont bien des exemples que l'on n'a guère envie d'imiter. Tout ici manque de grandeur d'âme, de noblesse.
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