LEM22 : MAROT

Chant de Mai et de Vertu

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Volontiers en ce mois ici * ce mois-ci
La terre mue et renouvelle  
Maints amoureux en font ainsi  
Sujets à faire amour nouvelle  
5
Par légèreté de cervelle  
Ou pour être ailleurs plus content.  
Ma façon d’aimer n’est pas telle :  
Mes amours durent en tous temps.  
   
N’y a si belle dame aussi * Mais aussi, il n’y a pas de dame
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De qui la beauté ne chancelle si belle que…
Par temps, maladie ou souci  
Laideur les tire en sa nacelle  * barque

Mais rien ne peut enlaidir celle

 
Que servir sans fin je prétends,  
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Et pour ce qu’elle est toujours belle  * parce qu’elle
Mes amours durent en tout temps.  
   
Celle dont je dis tout ceci,  
C’est Vertu, la nymphe éternelle,  
Qui au mont d’honneur éclairci * célèbre
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Tous les vrais amoureux appelle :  
« Venez, amants, venez, dit-elle,  
Venez à moi, je vous attends ;  
Venez, ce dit la jouvencelle  
Mes amours durent en tous temps. »  
ENVOI  
Prince, fais amie immortelle  
Et à la bien aimer entends  * fais attention, apprends
Lors pourras dire sans cautelle : * hypocrisie
Mes amours durent en tous temps.  

1. Situer le texte

 

GENRE = Ballade = Forme fixe à la mode au XVIeme siècle. (Cf. page 69 « La ballade »)

AUTEUR = Clément Marot, né en 1496, est poète de cour chez Louis XII, puis chez Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre, et enfin chez François 1er. Il poursuit le mouvement des Grands Rhétoriqueurs du Moyen-Âge, auquel appartenait son père : comme eux, il aime la difficulté, les acrobaties techniques, les jeux sur les rimes. Il pratique le rondeau (« De l’amour du siècle antique – Au bon vieux temps… »), la ballade, la chanson. Plusieurs fois inculpé pour désobéissance, et incarcéré, il est condamné et s’enfuit lors de l’affaire des Placards. Il meurt en exil, à Turin, en 1544.

THEME  = L’amour (éternel) de la vertu.

 

2.        Lire le texte

Afin de respecter les octosyllabes, penser aux e muets prononcés (« légèreté » v.5, « durent » v.8, « belle » v.9 « Celle » v.17, « Prince »,v.25). On doit bien entendre le rythme et la césure du vers (4 syllabes + 4 syllabes  ou  5+3 ou  encore 3+5). Une ballade est une chanson sans mélodie…

 

3.        Expliquer le texte

 

Suggestions d’axes de lecture :  1) Poésie légère ou leçon de morale ?  2) L’art du discours chez Marot

a)       La versification

Trois strophes de 7 vers puis une ½ strophe d’envoi  de 3 vers (dédiée ici au Prince) avec le même refrain « Mes amours durent en tout temps ». Structure classique de la ballade, mais il faut remarquer que le texte n’est pas répétitif : le refrain est donné par le narrateur comme une présentation du thème dans la strophe 1, puis comme la conclusion d’une argumentation (strophe 2). Dans la strophe 3, c’est la Vertu personnifiée qui prononce cette phrase, et dans la dernière, c’est le Prince qui pourra la dire, s’il applique les conseils du poète = > 4 variations sur un thème, avec 3 locuteurs différents. Virtuosité.

 b)       Les champs lexicaux, les thèmes

Strophe 1 : Le thème du changement, de l’instabilité amoureuse. Au printemps : tout a tendance à changer ; les amoureux aussi ! Mais le narrateur, lui, est constant en amour. Il ne dit cependant pas « qui » ou « ce » qu’il aime… Champ lexical de la variation, du mouvement ( « ce mois-ci »,« mue », « renouvelle », « nouvelle », « légèreté de cervelle »,  « ailleurs ».  Les amours volages-         

Strophe 2 : Le thème de la beauté qui s’en va avec le temps (cf. Ronsard, Quand vous serez bien vieille ou Corneille 17e siècle, Stances à Marquise) . Même si les plus belles femmes finissent par être vaincues par le temps, celle qu’aime le narrateur reste toujours belle. Le mystère est conservé. Vocabulaire courtois : « belle dame », « celle/Que servir sans fin je prétends » : l’amoureux est soumis à celle qu’il aime. Même idée dans la strophe 3 avec « amants » au pluriel... Carte du tendre. Opposition lexicale « beauté/laideur » dans toute la strophe 2 : noter le mot « Mais » en milieu de strophe.-         

Strophe 3 : le thème mythologique. Le mystère s’éclaircit. Le poète aime une déesse, immortelle par définition. C’est la Vertu. Elle veut attirer et devrait séduire tous les vrais amoureux (Connotation morale.)        

Envoi : La leçon. Vocabulaire moraliste. « Fais », « bien », « entends », « cautelle ». Le Prince, auquel est dédié le poème, doit pratiquer la vertu afin d’avoir, comme le poète, des amours immortelles.

c)       Le vocabulaire

Il sert à donner au texte certaines connotations. Il faudra en effet expliquer et justifier le choix des mots suivants:

Nymphe : divinité aquatique féminine (vocabulaire mythologique) Connotation de beauté, de longévité, d’élément liquide (=> cherche ici à attirer le voyageur, comme une sirène…)

Nacelle : terme poétique employé à la place du mot « barque ». Idée de voyage (ici sur le fleuve de l’Enfer, vers la vieillesse et la mort)

Jouvencelle : Jeune fille de la noblesse (vocabulaire courtois.) Connotation de pureté, d’innocence.

Cautelle, Vertu : Vocabulaire de la morale.

d)       Les figures de style

L’allégorie : Comme dans la mythologie, une qualité devient un être vivant. Ici, la Vertu devient une nymphe, parée de toutes les qualités : la beauté (v.15), la vie éternelle (v.18), le pouvoir sur les hommes (v.20 à 22), la possibilité d’en faire des héros (v.19 : le mont d’honneur ). La laideur est personnifiée, elle aussi, avec une nacelle, qui peut emporter comme passagère toute femme, quelque soit sa beauté. Remarquer la majuscule et l’absence de déterminant (« La laideur » devient « Laideur ») . Mai est aussi personnifié dans le titre. Le choix de l’allégorie est caractéristique de la poésie du Moyen-Âge, que Marot connaît et qu’il a pratiquée.

Le Roman de la Rose, de Guillaume de Lorris (XIIIeme siècle) présente déjà des personnages représentant des vices et des vertus personnifiés .Vieillesse, Pauvreté, Beauté, Amour, Raison, Danger sont les noms de personnages qui aident le voyageur ou qui sont des opposants à sa quête amoureuse.

La comparaison homme – nature (v.3); Mai, printemps =  moment des changements.

L’apostrophe, le discours direct (v.21 à 24) Situation de séduction, promesse d’amours éternelles…

La répétition de l’impératif  « Venez » quatre fois (v.21,22 et 23) Nécessité d’insister car choisir Vertu n’est pas un choix facile…

L’antithèse : inconstance des autres ¹ fidélité du narrateur – Belle, immortelle ¹ Belle un jour, laide ensuite.

Le paradoxe : se laisser séduire par Vertu, cette belle femme qui cherche à attirer les « vrais amoureux », conduit à rester fidèle à celle que l’on aime !

4.        Conclure 

Alors que ce texte semble au premier abord d’une grande simplicité, son auteur utilise une forme figée par des règles et des contraintes pour, d’une part,  montrer sa virtuosité grâce à l’emploi de tournures et de thèmes à la mode (le printemps, l’amour) qu’il saura présenter de façon originale, et d’autre part donner une leçon de morale simple, mais juste, à tous ceux qui aiment et à ceux qui gouvernent. Semblant dresser une Carte du Tendre, une méthode pour atteindre la perfection amoureuse et pour mériter la « Dame » courtisée, critiquant au passage les comportements inconstants en amour, le poète présente les avantages de la fidélité amoureuse. Enfin, Marot donne aussi aux gouvernants un sage conseil politique : un Prince qui aurait comme amie la Vertu, et qui exercerait le pouvoir en la pratiquant, mériterait l’amour de son peuple, et conserverait éternellement cet amour.

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